HISTOIRE - La chaleur maternelle m'a rapidement été enlevée. Je l'avais connue il y a à peine deux jours, et me voilà emmener dans un lieu stérile, où les odeurs, inquiétantes, avaient changées. On me nourrit, à l'aide d'un drôle d'objet presque pointu, qui faisait tomber, goutte par goutte, du lait différent de celui de ma mère, mais que j'acceptai volontiers, en étant obligée pour survivre. On me réchauffait aussi avec des espèces de trucs chauds, entouré d'une couverture douce. Mais tout ça, loin de ma mère d'allaitement. C'est juste de ça que je me rappelle. On dirait que les gens qui m'avaient cherchaient à me rendre dur à cuir dès mon départ dans ce monde incertain. Ainsi, les semaines s'enchaînèrent, me voyant grandir et me développer, comme tous les chiens. Il y avait d'autres chiots, à mes côtés, que j'ai appris à connaître. L'un d'eux, Enzo, me ressemblait étrangement, et sentait la même odeur; j'en ai déduis que nous avions un lien de sang. Peut-être était-il mon frère, mais je ne l'ai jamais su.

Lorsque je fus assez âgée, les jeux cessèrent. Tout devint beaucoup plus sérieux. On se mit à me faire saigner. À m'entraîner durement. Les humains, les museaux-plats tel que je les appelais, me pousser à bout. Ils m'agaçaient, me picoraient, cherchait sans cesse à me mettre en colère. Plus tard, ils ont fait entrer dans le tableau d'autres jeunes chiens, plus ou moins redoutables, plus ou moins apeurés. Moi, je n'avais pas peur. Je savais ce qu'ils voulaient, et je l'avais compris dès que j'avais croisé le regard de mes entraîneurs. Attaquer. Attaquer pour survivre, attaquer pour les rendre fiers, attaquer pour gagner de la puissance. Et c'est comme ça que cette pensée rythma mon éducation, et qui rendit les heures et les journées beaucoup moins pénibles. Je me souviens du regard de l'alpha, ce grand chier, fier de me voir me battre, aussi acharnée, alors que je n'avais même pas un an. Je me souviens de ses paroles à ses camarades "celle-là, elle semble une vraie petite guerrière". Il avait dit vrai. Les combats reprenaient, dans une plus petite arène. Car je les avais vu, les adultes. Leurs combats semblaient beaucoup plus sanglants, et moi, j'admirais parfois le spectacle. Comment les miens s'y prenaient... Comment le sang coulait... cette impression de force, de confiance en soi quand on remportait la partie. Je voulais devenir comme eux, entendre les hourras des hommes, de mes compagnons de la même espèce.

Alors un jour on m'a lancé dans l'arène, et l'on m'a encouragée, comme toutes les fois. Je n'ai pas hésité. Il s'agissait d'Enzo. Hésitant, il se balançait sur ses pattes avant, arrière, n'osant pas m'attaquer. Je n'étais pas censé le tuer, nos combats juniors étaient moins dangereux, mais... Je ne sais pas ce qui m'a prit, je l'ai fait. J'ai tué ce jeune chien, du même âge que moi. Et avant qu'on puisse m'arrêter, je goûtais son sang, chaud, dans ma gueule. Je goûtais la puissance.

Alors quand j'ai rejoins le berceau des adultes, je me suis sentis grande. Mais j'ai dû faire mes preuves, me tailler une place parmi cet attroupement d'adultes sans pitié, d'humains qui l'étaient tout autant. Mais j'ai réussi. J'ai usé de ma force, de ma ruse, de mes stratèges. J'ai avancé, tant à l'extérieur de l'arène que lors des combats. Ne jamais abandonner. Même lorsqu'une autre Akita, un jour, est réapparu. Elle avait la même odeur, la même allure que moi. Et elle m'a appelée "ma fille". Ma mère ? Je pensais avoir été élevée par les humains. Et c'était le cas. Elle n'avait rien à faire de me traiter ainsi, comme si j'étais censée lui obéir, la respecter.

Au fond de moi, je me suis toujours sentie alpha, je voulais avoir aussi fière allure, être à la tête de cette bande de chiens... Et je suis si proche, maintenant, si proche. Bêta, vous vous rendez compte ? J'ai réussi, j'ai réussi. Ou presque. Mais je sens que je vais les gravir, ces échelons, peu importe comment, et à cause de qui, ou de quoi.